C’est un moment bien particulier que le jeudi matin au DITEP de Chauny, un moment très attendu de tous les enfants comme des adultes. C’est celui de l’atelier musique, rythmant chaque semaine la vie de la maisonnée qui résonne alors de toutes sortes de sons, de chants, de musique et de tintamarre. Plus tard au repas, tout le monde - participants ou non à l’atelier - se surprend à fredonner les chansons écoutées ou chantées le matin même.
Cet atelier est né de la rencontre de deux collègues, un enseignant et un éducateur, tous deux passionnés de musique. Depuis un petit moment déjà, ils ont chacun de leur côté perçu le potentiel éducatif et pédagogique de la médiation musicale, en particulier auprès des jeunes accueillis en DITEP, sans avoir jamais osé se lancer seuls jusque-là. Cette année, c’est chose faite.
Le moment venu, le groupe prépare ampli et instruments puis s’installe confortablement dans la véranda, en plein cœur de la maison. Ils sont cinq, parfois plus, parfois moins… d’âges et de profils très différents, un défi tant pour les animateurs de l’atelier qui doivent réussir à l’adapter aux besoins de chacun, que pour les enfants qui, pour la plupart, présentent des troubles de l’attention et des difficultés à être et à faire ensemble.

Ici, l’objectif premier est que les enfants y prennent du plaisir. Rien n’est imposé au sein de l’atelier hormis une règle, celle de s’écouter. Certains s’investissent pleinement, d’autres restent un peu en retrait, tandis que certains quittent un temps l’atelier, pour revenir un peu plus tard. Chacun est laissé libre d’explorer et de s’exprimer, révélant des talents insoupçonnés : on découvre ainsi qu’André chante très juste, et qu’il y prend un plaisir immense ; Louka frappe naturellement la pulsation avec une régularité de métronome ; Nathaniel nous étonne par sa culture musicale ; Kenza mémorise instantanément les mélodies au xylophone sans en avoir jamais joué ; Tiago esquisse discrètement des pas de danse d’une grâce surprenante.
Paradoxalement, la première des choses à apprendre aux enfants pour entrer dans la musique, c’est… le silence. Car comme le disait Mozart, « La musique n'est pas dans les notes, mais dans le silence entre les deux ». Pour cela, le groupe assis en cercle est incité à fermer les yeux pour se préparer à un temps d’écoute musicale. En enrichissant leur culture musicale par la découverte de styles musicaux variés, ils apprennent aussi à se mettre en position d’écoute, à concentrer leur attention sur le seul canal auditif, faisant abstraction des stimulations visuelles qui les entourent. Tour à tour, ils sont invités à s’exprimer sur ce qu’ils ont ressenti, se mettant cette fois à l’écoute de leurs émotions et de leur corps. Petit à petit, ils affinent leurs perceptions et leurs connaissances musicales, parviennent à reconnaître les instruments et les différentes nuances de la musique, les styles et les époques.
Apaisant pour qui parvient à lâcher prise, ce temps d’écoute peut s’avérer éprouvant pour ceux qui doivent s’efforcer de maîtriser leur impulsivité, se concentrer, supporter l’introspection…
Mais la musique se vit aussi, et d’abord, avec le corps. Un moment plus récréatif permet alors aux enfants de mettre leurs corps en mouvement au service de l’expression et de la découverte musicale : des grands classiques « chaises musicales » et « jeu du chef d’orchestre », aux jeux d’explorations sonores, en passant par des lotos des instruments de musique, on bouge, on s’exprime, on rit, on joue… ne dit-on pas, d’ailleurs, « jouer de la musique » ?
Enfin, le cercle se reforme pour un moment de pratique musicale. Les premiers temps, les enfants ont pu découvrir, manipuler, expérimenter des instruments à vent, à cordes, à percussion. Et c’est toujours un moment magique, pour celui qui en a toujours rêvé, que de tenir une guitare électrique entre ses mains pour jouer au rockeur, ou de s’asseoir derrière une vraie batterie et se sentir tout petit. Puis est venu le temps d’essayer de jouer ensemble. La musique : « Kokoléoko », « Si ma ma ka », des chants africains accompagnés d’une rythmique simple… Les instruments : des djembés et autres petites percussions, le corps, et la voix, autant de supports qui permettent à tous de devenir musicien sans avoir besoin de connaissances techniques. Chacun s’implique selon ses goûts et ses aptitudes pour produire ensemble une œuvre commune, se sentant progresser au fil des séances : les uns chantent, d’autres jouent d’un instrument, certains font les deux, mais tous essaient de jouer ensemble. Et il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, puisqu’en fin d’année, le groupe – qui n’a pas encore choisi son nom de scène – ira montrer le fruit de son travail aux résidents d’un EHPAD où se rendent régulièrement des jeunes de l’atelier.

Finalement, l’aventure ne fait que commencer. L’atelier est loin d’avoir exploré tous les bienfaits de la musique dans ses dimensions affectives, cognitives et sociales – apprendre, progresser, se remémorer, se montrer, maîtriser son corps et ses émotions, s’écouter, s’exprimer, oser, être et faire ensemble, persévérer, se dépasser… Car il est bon d’imaginer que, comme le disait Bob Marley, « La musique peut rendre les hommes libres ».